La Chambre • Publications
L'Argentine et la France : Nouveau départ
La visite du président François Hollande a été l’occasion d’une reprise de la relation bilatérale, spécialement dans le domaine économique.
« La rencontre a été celle de deux dirigeants de signe politique différent mais tout autant pragmatiques. L’un termine son mandat avec un faible niveau de popularité, l’autre commence seulement le sien et continue à être bien placé dans l’opinion publique. Ce sont deux réformistes qui veulent moderniser leur pays et ont un langage commun. Le dialogue a été bon, il y a eu un bon courant entre eux ». C’est dans ces termes qu’un observateur très proche de la visite de François Hollande résume le climat des conversations du chef de l’état français avec son pair argentin Mauricio Macri. Sans doute, il pourrait être dit quelque chose de similaire sur celles que Macri a tenu quelques semaines plus tard avec le président des États-Unis Barack Obama. Au-delà des relations personnelles, le fait que ces leaders – et d’autres, comme le premier ministre italien Matteo Renzi- aient décidé de venir en Argentine au cours des premiers mois de la gestion de Macri, témoigne que la communauté internationale souhaite soutenir les politiques du nouveau gouvernement. Par intérêt, en rapport avec l’ouverture économique en cours, évidemment. Mais aussi parce qu’il est possible d’entamer un dialogue dans des conditions normales avec des fonctionnaires avec qui on partage une même vision du monde et disposés à collaborer pour reprendre des relations bilatérales qui stagnent depuis des années.
Essai de normalisation
Pour revenir à la visite du Président Hollande, il faut se souvenir que, des grands partenaires de l’Argentine, la France a été le pays qui a le plus longtemps gardé le contact avec le gouvernement de Cristina Fernández de Kirchner quand celui-ci a essayé de normaliser ses relations avec le système financier international. Les accords avec Repsol et le CIRDI (Centre International pour le règlement des différends relatifs aux investissements) et, spécialement, avec le Club de Paris, ont reçu clairement l’appui de la France. Puis le lien s’est dégradé après la décision défavorable de la justice américaine
concernant le conflit avec les fonds spéculatifs, en 2014. A partir de ce moment et de manière plus systématique en 2015, le gouvernement argentin a paru renoncer à une politique d’ouverture et a décidé de renforcer les mesures restrictives qui affectaient l’activité des entreprises. Le contrôle des changes, les limitations aux importations et l’impossibilité de transférer les dividendes, ont tendu les relations économiques et politiques avec la France. Le dialogue s’était interrompu et, comme bien d’autres, le gouvernement français était dans l’attente du résultat des présidentielles pour une éventuelle reprise du lien bilatéral.
Après les élections, la France a été agréablement surprise par les signaux positifs reçus depuis le premier moment, même avant que Mauricio Macri ne commence son mandat, le 10 décembre. Par exemple, l’envoi d’une nouvelle délégation à la Conférence sur le changement climatique de Paris (30 novembre-11 décembre 2015) comme nous l’a dit au cours d’un entretien exclusif, l’ambassadeur Jean-Michel Casa: « A la COP21 l’Argentine a eu une attitude très constructive, une sorte de défense et illustration du changement politique ». Ensuite, à peine installé le gouvernement, les premières mesures économiques ont produit leur effet: « L’annonce de l’élimination du contrôle des changes a été très importante ainsi que le rétablissement de la libre circulation des capitaux et du droit d’importation -partiel mais qui permet au moins de soulager un 80-90 % des besoins des entreprises », a ajouté M. Casa.
Une visite attendue
Dans ce nouveau contexte, les parties ont travaillé intensément à la préparation de la visite de François Hollande, dont les résultats permettent de parler, selon Jean-Michel Casa, d’une « nouvelle étape dans les relations franco-argentines, comme le témoignent les nombreux accords signés à cette occasion et la déclaration conjointe des deux présidents ». Pour Jorge Faurie, nouvel ambassadeur argentin en France, ce dernier document « montre jusqu’où nous voulons aller dans la relation bilatérale et reflète les engagements pris par les deux pays pour suivre une nouvelle feuille de route économique. Il existe une volonté partagée de replacer nos relations au niveau qu’elles n’auraient jamais dû quitter ». M. Faurie, qui a dédié une de ses dernières matinées à Buenos Aires -avant de prendre son poste à Paris- aux membres de la CCI France Argentine, a mis en évidence les investissements français en Argentine qui seront la base d’un lien rénové au grand potentiel : « Ils se trouvent dans des secteurs très importants et très sensibles de notre tissu économique, allant de l’énergie à l’alimentation, passant par les laboratoires et la distribution, sans oublier l’industrie automobile, entre autres nombreuses activités représentant aussi d’importantes sources de travail. De plus, comme résultat d’un travail développé conjointement depuis de décennies, il existe une coopération dans le domaine aérospatial d’extrême importance.
Collaboration technologique
Dans le futur et d’après la feuille de route établie par la déclaration conjointe, M. Faurie voit la possibilité de construire une relation plus dynamique, spécialement dans des secteurs de technologie de pointe où la collaboration entre la France et l’Argentine est déjà habituelle : « Avec la visite du Président Hollande nous avons pu faire ressortir un travail qui s’est développé dans le domaine nucléaire et qui va permettre que nos deux entreprises leaders, la française Areva et l’Argentine Invap, se présentent ensemble à un appel d’offres pour un réacteur d’échelle moyenne en Afrique du Sud ». La reprise de la coopération scientifique et technique est l’un des points forts des accords qui ont suivi la visite, confirme l’ambassadeur Jean-Michel Casa. « En plus du réacteur nucléaire qui a fait l’objet d’une présentation conjointe, nous avons décidé d’approfondir la collaboration dans le domaine aérospatial et avons signé des conventions qui permettront de renforcer et d‘amplifier les échanges entre les chercheurs et les étudiants des deux pays ». Pour Jorge Faurie, « ce lien entre la science et la technologie doit servir pour que le secteur privé puisse l’appliquer pour sa production ». Par ailleurs, ajoute M. Faurie : « L’Argentine a un retard en infrastructure ferroviaire, routière, portuaire et aéroportuaire, qui sont tous des secteurs où la France a une capacité de pointe et peut devenir un fournisseur naturel ».
Pour ce type d’investissements impliquant des financements importants, l’expansion des crédits multilatéraux (Banque Mondiale, Banque « Interamericano de Desarrollo », Corporación Andina) sera fondamentale et elle permettra la résolution du conflit avec les holdouts. Dans les provinces du nord du pays, destinataires du Plan Belgrano, où le déficit en matière d’infrastructure est spécialement important, complète M. Casa, « l’Agence Française pour le Développement (AFD) pourrait aussi intervenir. Celle-ci enverra prochainement une mission d’exploration, comme il a été annoncé dans le cadre de la visite ».
A cette occasion, le président Hollande a confirmé l’appui de la France pour l’admission de l’Argentine à l’OCDE (Organisation pour la Coopération et le Développement Economiques), dont le siège est à Paris, après une négociation qui prendra un temps raisonnable, mais aussi court que possible. Quant aux responsabilités que cela implique, spécialement dans l’adoption de standards internationaux, l’intégration comme membre plein de l’OCDE devrait donner une meilleure prévisibilité à l’économie argentine. Une prévisibilité qui est la garantie la plus importante pour que la reprise de la relation franco-argentine se traduise rapidement en faits concrets.
Reportage France 24 sur la visite présidentielle